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vendredi 28 janvier 2011

Le vide est la forme...

Questions / Réponses avec Francis Lucille
Que signifie « le vide est la forme et la forme est le vide » ?

Cher Stephen,

Vous avez raison lorsque vous dites que « cette paix n'est pas séparée de notre expérience quotidienne et de l'histoire de nos vies » et que « la paix à laquelle vous vous référez soutient, embrasse, inclut la forme/le mental ». Le mental apparaît en elle et est constitué d'elle. Pour cette raison il est exact de dire qu'elle est au-delà du mental, car le mental apparaît en elle, et tout, y compris l'univers, est fait de cette paix. Elle est au-delà du mental comme le miroir est au-delà de l'image réfléchie qui apparaît en lui. La réalité des images est le miroir, mais la réalité du miroir n'est pas une image. Le miroir existe indépendamment de toute image réfléchie. En d'autres mots, cette Présence est à la fois immanente dans les perceptions et transcendante en leur absence. La croyance qu'elle est uniquement immanente est ignorance, l'expérience qu'elle transcende le mental est illumination, et l'expérience continue de sa transcendance et de son immanence est la réalisation de soi.

Le déni de la transcendance d'Atman fut une hérésie majeure du Bouddhisme. Connue également sous le nom de nihilisme ou « doctrine de l'Anatman », ce fut le sujet de controverse principal entre bouddhistes et advaïtins à l'époque de Shankara. Cependant ce déni n'est pas retrouvé dans les enseignements originaux du Bouddha ou dans ceux des maîtres Chan et Zen. Atman est ce qu'ils nomment « notre nature de Bouddha », « notre vraie nature », « notre visage originel ». Cette hérésie est encore très commune dans le Bouddhisme contemporain. Elle provient d'une méprise au sujet de l'expression « la forme est le vide, et le vide est la forme ».

Pour comprendre cette expression correctement, imaginons une page blanche avec une pomme rouge peinte dessus. Dans cette image la pomme rouge est la forme, le reste de la page blanche est le vide. Mais nous pouvons la comprendre différemment, la partie blanche de la page étant la forme, et la partie rouge étant le vide (c’est-à-dire : l'absence de blanc). Il s'ensuit que « la forme est le vide et le vide est la forme ». La transcendance, l'Atman, le Brahman, « notre nature de Bouddha », « notre vraie nature », « notre visage originel », est le morceau de papier, le support à la fois du rouge et de son absence. L'expression « la forme est le vide est le vide est la forme » est utilisé comme un avertissement à propos d'un état atteint par certain pratiquants durant la méditation, dans lequel une absence de pensée, un vide, est expérimenté. Le disciple est simplement averti que cette absence de forme est encore une forme, et que l'illumination n'a pas été expérimentée à ce stade, car la transcendance, notre nature de Bouddha, n'a pas encore été révélée.

Paradoxalement, une forme d'ignorance similaire au nihilisme est souvent trouvée dans les enseignements contemporains de l'Advaïta. Ces chemins mènent dans les deux cas à des types d'illuminations de « seconde classe » qui ne sont pas la révélation de l'Ultime. L'enseignant(e) a terminé sa quête trop tôt en raison d'une compréhension purement intellectuelle de « la forme est le vide et le vide est la forme ». Du fait de la non-révélation de la Transcendance, l'enseignement qui en découle n'a pas la poésie, l'amour, l'intelligence suprême et l'émerveillement que nous trouvons chez Rûmî, Bouddha, Jésus, Ramana Maharshi, Jean Klein, Krishna Menon et d'autres êtres réellement illuminés. Parce qu'il n'est pas éveillé à sa propre Présence, sa présence n'éveille pas la Présence chez le disciple. L'enseignement se résume alors dans la formule « Il n'y a rien à faire, car votre condition présente est déjà celle d'un être réalisé ». Il est bien naturel qu'un ignorant qui croit être réalisé dise à ses élèves qu'ils le sont aussi. Cette forme instantanée d'illumination est à la mode dans notre culture de gratification instantanée.

Cependant, elle ne correspond pas à l'illumination soudaine dont les maîtres Chan parlent. Chez eux « soudain » ne veut pas dire « tout de suite ». Le problème est que cette « illumination express » ne saurait apporter la paix et le bonheur que nous recherchons. Cela crée souvent chez le disciple une forme de résignation, la croyance qu'il n'y a rien à trouver. La plupart des disciples vont rester bloqués sur leur pseudo illumination, d'autres, désenchantés par tout ce « business de la vérité », vont revenir pour un temps à leur ancien style de vie ; les plus fervents continueront la quête et trouveront un vrai enseignant dont la présence, les mots, le comportement et les actions les mèneront à l'aperception de leur vraie nature et qui les guidera sur la voie jusqu'à leur établissement dans la paix du Soi.

Ceci m'amène à une remarque finale. Ce qui compte n'est pas ce qui est dit à propos de la Vérité, mais la provenance de ce qui est dit. Si les mots viennent de l'ignorance, bien qu'ils soient doctrinalement corrects du point de vue de l'Advaïta, ils n'auront jamais le pouvoir incendiaire d'une simple ligne d'un poème de Rûmî. Et les mots sont d'une importance secondaire par rapport à la transmission silencieuse qui se produit en présence du gourou, la plus haute forme d'enseignement selon Bouddha, Ramana Maharshi, Atmananda, Jean Klein, etc... Et pourtant cet enseignement silencieux est soigneusement ignoré par beaucoup d'enseignants contemporains, que ce soit du Bouddhisme ou de l'Advaïta, pour la simple raison qu'ils ne peuvent parler d'une expérience qui leur est inconnue, quand bien même ils déclarent enseigner la même réalisation non duelle que ces enseignants illustres.
La vérité doit être entendue « des lèvres mêmes du gourou », pour reprendre la formule d'Atmananda, pour que l'aperception du Soi se produise. De simples conversations par Internet ne suffiront pas en règle générale. Elles peuvent au mieux transmettre un « échantillon » de joie sans cause qui va résonner dans le cœur de ceux qui ont « des yeux pour voir et des oreilles pour entendre » l'inexprimable Vérité.

Bien amicalement,

Francis

Traduit de l'anglais par Stéphane Badach