Extraits de « La Voie directe : s'identifier à la conscience pure»
de Greg Goode
de Greg Goode
Pages 18 - 23
Ce qui vaut pour la vue vaut également pour l'ouïe, l'odorat, le goût et le toucher. S'en tenant au témoignage direct de tel ou tel sens, on réalise que l'objet sensoriel ne peut pas être séparé de la modalité sensorielle. Celle-ci ne peut pas être séparée de la conscience témoin. Cette dernière est présente dans toutes les perceptions du soi-disant monde physique, et rien n'est perçu indépendamment ou en dehors de cette conscience pure.
Le sens du toucher semble parfois constituer une exception. Pour ceux qui ont l'impression que le monde physique est la base même de la réalité, rien ne semble plus 'réel' que de se donner un coup de marteau sur le pouce ou de se cogner le genou contre un objet. Pour beaucoup, la douleur paraît plus réelle que la plupart des autres expériences. Mais en y regardant de plus près, on constate que la douleur n'est pas quelque chose que l'on attribue aux objets du monde physique. La douleur est une expérience et nullement la preuve de la réalité d'un objet. Il en va de même pour le reste de notre expérience directe par le sens du toucher.
Si on recommence l'expérience de la tasse en utilisant le sens du toucher, il y aura la même série d'étapes que précédemment. Si vous fermez les yeux et ne pensez qu'à l'expérience directe donnée par le toucher, vous constaterez que ce qui se manifeste est une série de sensations de texture, chaleur ou froid, dureté. Ces sensations apparaissent puis disparaissent.
On peut alors constater ce qui suit :
1) on ne perçoit pas de tasse séparée des sensations. Celles-ci ne communiquent pas un objet indépendant des sensations.
2) De plus, ces sensations ne sont pas séparées de la faculté du toucher. On ne touche pas des sensations préexistantes; le toucher est synonyme de ces sensations.
3) Le toucher n'est pas séparé de la conscience témoin. Le toucher ne se manifeste jamais en l'absence de la conscience témoin.
La voie directe est l'une des rares approches non duelles qui étudient le corps directement. Normalement, celui-ci entre dans la catégorie « objet physique », mais il semble être un objet physique très spécial. Contrairement aux autres objets, il semble vous accompagner partout où vous allez. Et si vous le tapotez, avec un crayon ou un stylo par exemple, certaines sensations se manifestent ; des sensations qui ne se manifestent pas quand vous tapotez la tasse ou la table. Et surtout, on dirait que le corps est le conteneur de la conscience, de votre conscience. Votre conscience semble différente de celle des autres. On croit souvent que ce qui semble séparer les consciences ce sont les murs du corps. Votre corps semble contenir votre conscience, et d'autres corps semblent contenir d'autres consciences.
Mais avec l'aide de la raison supérieure, on peut parvenir à reconnaître que le corps est une apparition dans la conscience. Comme tel, il ne peut pas enclore la conscience. Il ne peut pas être autre chose que la conscience. Cela libère et globalise votre compréhension de la conscience, qui va cesser de paraître enfermer dans le corps. Étant la conscience elle-même, le corps est libre et ne semble plus compartimenter la conscience.
Expérience avec votre bras
Regardons simplement une partie du corps, le bras, et voyons s'il se laisse être perçu en tant que conscience...
Posez votre bras sur la table devant vous. La perception visuelle directe de votre bras est similaire à ce que vous avez perçu avec la tasse. La perception visuelle comporte des couleurs et des formes. Même si le bras bouge, le mouvement est une perception visuelle de changements de forme et de couleur.
Il n'y a pas de perception visuelle d'un bras en dehors de la forme, pas de perception de forme en dehors de la vue, et pas d'expérience de vue en dehors de la conscience pure.
À présent, fermez les yeux afin de vous concentrer sur le toucher.
Si vous touchez votre bras, votre expérience est similaire à ce que vous avez perçu avec la tasse. Bien qu'il semble y avoir deux sources de sensation (la main qui touche et le bras touché), ceci repose sur la supposition que les sources sont des objets physiques extérieurs. Mais ces mêmes sensations pourraient tout aussi bien apparaître dans des rêves.
La notion même de 'source' ou de ‘localisation' est simplement une conclusion intellectuelle survenant après la réalité de votre expérience directe.
L'expérience directe du toucher ne communique pas la source ou la localisation, mais comme la vision, elle possède son propre langage. Le toucher communique les sensations de texture, chaleur, douceur ou dureté, peut-être un chatouillement, une impression agréable ou désagréable.
Gardant les yeux fermés, passez votre bras au-dessus de la table, à environ trente centimètres, puis lentement de gauche à droite; ensuite, reposez-le ; vous éprouverez un type de sensation légèrement différent. On appelle souvent cela kinesthésïe ou somesthésie. C'est l'impression de ce qu'on appelle positionnement ou mouvement. Cette impression apparaît et disparaît, et comme toutes les autres composantes de notre perception directe examinées jusqu'ici, cette impression n'établit jamais un objet indépendant des sensations elles-mêmes.
Les yeux toujours fermés, répétez ce mouvement et examinez les sensations ouvertement et directement, sans histoire, souvenir ou théorie. Après votre expérience directe, essayez de trouver un objet physique existant indépendamment et soumis à ce mouvement. La perception directe ne fournira pas un tel objet. Il vous sera possible de réaliser les mêmes choses choquantes que précédemment, à savoir que l'expérience n'établit aucun objet en dehors des sensations, aucune sensation en dehors du sens du toucher, et aucun sens du toucher en dehors de la conscience témoin. Là encore, c'est la conscience témoin qui est le seul élément constamment présent.
Assez souvent, c'est à peu près à ce moment que le mental intervient et dit :
« Attendez un peu ! »
Bien que l'on ne puisse guère discuter avec l'autorité de l'expérience directe, il peut paraître très bizarre que les objets physiques, y compris le corps, n'existent tout simplement pas indépendamment de la conscience. Il semble que le monde n'a aucun sens s'il n'y a pas d'objets pour créer l'expérience.
Ceci peut être ressenti très fortement et repose sur des siècles de conditionnement
(voir note 1).
Il y a de nombreuses façons de répondre à cette objection, mais il y en a deux qui se rapportent à l'expérience directe donnée par la raison supérieure.
Une réponse possible est celle-ci : même si nous concédons qu'il doit y avoir des objets extérieurs pour servir de cause et d'explication à notre expérience, nous nous retrouvons au même point. Ceci du fait qu'en dépit de notre concession, la seule preuve que nous ayons de ces objets (et de toute chaîne causale produite par eux) revient à cette même perception directe que nous avons déjà exa¬minée dans nos expériences.
La conscience pure est tout de même établie en tant qu'essence de notre perception.
Accorder l'indépendance aux objets verbalement et intellectuellement ne prouve pas davantage leur existence. De toute façon nous nous retrouvons avec le fait que la conscience pure constitue tout ce qui est vraiment établi par l'expérience directe.
L'autre réponse est pragmatique. Le fait que l'expérience directe établit que le monde grossier n'est rien d'autre que la conscience pure ne nous oblige pas à parler un langage spécial.
Nous n'avons pas besoin de parler advaita chez l'épicier.
Il n'y a aucune raison d'abandonner les vocabulaires traditionnels utilisés en science, mécanique, architecture et dans les autres disciplines. Ces domaines de l'activité humaine, pour des raisons pratiques qui leur sont propres, supposent l'existence d'objets indépendants des moyens de mesure.
Supposons que votre profession adopte ce point de vue à dominante physique. Vous pouvez malgré tout l'exercer sans avoir à croire à ce point de vue, sans avoir à le réfuter ou à en débattre avec vos supérieurs !
Vous pouvez le considérer comme une sorte de poésie moderne.
Il peut être utilisé sans qu'on y adhère.
Vous pouvez également considérer que les vocabulaires apparaissent eux aussi dans la conscience pure.
Vous êtes libre de laisser un vocabulaire se manifester de sa manière naturelle.
1. On a commencé à philosopher sérieusement à ce sujet au 17è siècle avec des philosophes tels que René Descartes et John Locke, ainsi qu'avec des scientifiques qui modelaient la connaissance humaine sur la théorie de F optique formulée par Johannes Kepler. Ces penseurs exercèrent une très grande influence dans la culture occidentale; pour eux, l'individu avait un point interne de sensation enfermé dans un corps. Le rôle de l'humanité était de représenter en pensée un monde extérieur avec exactitude et de le communiquer aux autres. Avant cette époque, on pensait qu'expérience et con-naissance étaient beaucoup plus intégrées et holistes, sans imposer de barrières métaphysiques entre intérieur et extérieur. On trouvera des déconstructions extrêmement lucides de cette conception de spectateur de la connaissance humaine dans Colin M. Turbayne, The Myth of Metaphor (Yale UP, 1962) et Richard Rorty, Philosophy and the Mirror of Nature (Princeton UP, 1979).
Les autres sens sont identiques à la vue
Ce qui vaut pour la vue vaut également pour l'ouïe, l'odorat, le goût et le toucher. S'en tenant au témoignage direct de tel ou tel sens, on réalise que l'objet sensoriel ne peut pas être séparé de la modalité sensorielle. Celle-ci ne peut pas être séparée de la conscience témoin. Cette dernière est présente dans toutes les perceptions du soi-disant monde physique, et rien n'est perçu indépendamment ou en dehors de cette conscience pure.
Le sens du toucher semble parfois constituer une exception. Pour ceux qui ont l'impression que le monde physique est la base même de la réalité, rien ne semble plus 'réel' que de se donner un coup de marteau sur le pouce ou de se cogner le genou contre un objet. Pour beaucoup, la douleur paraît plus réelle que la plupart des autres expériences. Mais en y regardant de plus près, on constate que la douleur n'est pas quelque chose que l'on attribue aux objets du monde physique. La douleur est une expérience et nullement la preuve de la réalité d'un objet. Il en va de même pour le reste de notre expérience directe par le sens du toucher.
Si on recommence l'expérience de la tasse en utilisant le sens du toucher, il y aura la même série d'étapes que précédemment. Si vous fermez les yeux et ne pensez qu'à l'expérience directe donnée par le toucher, vous constaterez que ce qui se manifeste est une série de sensations de texture, chaleur ou froid, dureté. Ces sensations apparaissent puis disparaissent.
On peut alors constater ce qui suit :
1) on ne perçoit pas de tasse séparée des sensations. Celles-ci ne communiquent pas un objet indépendant des sensations.
2) De plus, ces sensations ne sont pas séparées de la faculté du toucher. On ne touche pas des sensations préexistantes; le toucher est synonyme de ces sensations.
3) Le toucher n'est pas séparé de la conscience témoin. Le toucher ne se manifeste jamais en l'absence de la conscience témoin.
Le corps est conscience pure
La voie directe est l'une des rares approches non duelles qui étudient le corps directement. Normalement, celui-ci entre dans la catégorie « objet physique », mais il semble être un objet physique très spécial. Contrairement aux autres objets, il semble vous accompagner partout où vous allez. Et si vous le tapotez, avec un crayon ou un stylo par exemple, certaines sensations se manifestent ; des sensations qui ne se manifestent pas quand vous tapotez la tasse ou la table. Et surtout, on dirait que le corps est le conteneur de la conscience, de votre conscience. Votre conscience semble différente de celle des autres. On croit souvent que ce qui semble séparer les consciences ce sont les murs du corps. Votre corps semble contenir votre conscience, et d'autres corps semblent contenir d'autres consciences.
Mais avec l'aide de la raison supérieure, on peut parvenir à reconnaître que le corps est une apparition dans la conscience. Comme tel, il ne peut pas enclore la conscience. Il ne peut pas être autre chose que la conscience. Cela libère et globalise votre compréhension de la conscience, qui va cesser de paraître enfermer dans le corps. Étant la conscience elle-même, le corps est libre et ne semble plus compartimenter la conscience.
Essayons de faire une autre expérience de raison supérieure :
Expérience avec votre bras
Regardons simplement une partie du corps, le bras, et voyons s'il se laisse être perçu en tant que conscience...
Posez votre bras sur la table devant vous. La perception visuelle directe de votre bras est similaire à ce que vous avez perçu avec la tasse. La perception visuelle comporte des couleurs et des formes. Même si le bras bouge, le mouvement est une perception visuelle de changements de forme et de couleur.
Il n'y a pas de perception visuelle d'un bras en dehors de la forme, pas de perception de forme en dehors de la vue, et pas d'expérience de vue en dehors de la conscience pure.
À présent, fermez les yeux afin de vous concentrer sur le toucher.
Si vous touchez votre bras, votre expérience est similaire à ce que vous avez perçu avec la tasse. Bien qu'il semble y avoir deux sources de sensation (la main qui touche et le bras touché), ceci repose sur la supposition que les sources sont des objets physiques extérieurs. Mais ces mêmes sensations pourraient tout aussi bien apparaître dans des rêves.
La notion même de 'source' ou de ‘localisation' est simplement une conclusion intellectuelle survenant après la réalité de votre expérience directe.
L'expérience directe du toucher ne communique pas la source ou la localisation, mais comme la vision, elle possède son propre langage. Le toucher communique les sensations de texture, chaleur, douceur ou dureté, peut-être un chatouillement, une impression agréable ou désagréable.
Gardant les yeux fermés, passez votre bras au-dessus de la table, à environ trente centimètres, puis lentement de gauche à droite; ensuite, reposez-le ; vous éprouverez un type de sensation légèrement différent. On appelle souvent cela kinesthésïe ou somesthésie. C'est l'impression de ce qu'on appelle positionnement ou mouvement. Cette impression apparaît et disparaît, et comme toutes les autres composantes de notre perception directe examinées jusqu'ici, cette impression n'établit jamais un objet indépendant des sensations elles-mêmes.
Les yeux toujours fermés, répétez ce mouvement et examinez les sensations ouvertement et directement, sans histoire, souvenir ou théorie. Après votre expérience directe, essayez de trouver un objet physique existant indépendamment et soumis à ce mouvement. La perception directe ne fournira pas un tel objet. Il vous sera possible de réaliser les mêmes choses choquantes que précédemment, à savoir que l'expérience n'établit aucun objet en dehors des sensations, aucune sensation en dehors du sens du toucher, et aucun sens du toucher en dehors de la conscience témoin. Là encore, c'est la conscience témoin qui est le seul élément constamment présent.
Objection : « Mais c'est impossible ! »
Assez souvent, c'est à peu près à ce moment que le mental intervient et dit :
« Attendez un peu ! »
Bien que l'on ne puisse guère discuter avec l'autorité de l'expérience directe, il peut paraître très bizarre que les objets physiques, y compris le corps, n'existent tout simplement pas indépendamment de la conscience. Il semble que le monde n'a aucun sens s'il n'y a pas d'objets pour créer l'expérience.
Ceci peut être ressenti très fortement et repose sur des siècles de conditionnement
(voir note 1).
Il y a de nombreuses façons de répondre à cette objection, mais il y en a deux qui se rapportent à l'expérience directe donnée par la raison supérieure.
Une réponse possible est celle-ci : même si nous concédons qu'il doit y avoir des objets extérieurs pour servir de cause et d'explication à notre expérience, nous nous retrouvons au même point. Ceci du fait qu'en dépit de notre concession, la seule preuve que nous ayons de ces objets (et de toute chaîne causale produite par eux) revient à cette même perception directe que nous avons déjà exa¬minée dans nos expériences.
La conscience pure est tout de même établie en tant qu'essence de notre perception.
Accorder l'indépendance aux objets verbalement et intellectuellement ne prouve pas davantage leur existence. De toute façon nous nous retrouvons avec le fait que la conscience pure constitue tout ce qui est vraiment établi par l'expérience directe.
L'autre réponse est pragmatique. Le fait que l'expérience directe établit que le monde grossier n'est rien d'autre que la conscience pure ne nous oblige pas à parler un langage spécial.
Nous n'avons pas besoin de parler advaita chez l'épicier.
Il n'y a aucune raison d'abandonner les vocabulaires traditionnels utilisés en science, mécanique, architecture et dans les autres disciplines. Ces domaines de l'activité humaine, pour des raisons pratiques qui leur sont propres, supposent l'existence d'objets indépendants des moyens de mesure.
Supposons que votre profession adopte ce point de vue à dominante physique. Vous pouvez malgré tout l'exercer sans avoir à croire à ce point de vue, sans avoir à le réfuter ou à en débattre avec vos supérieurs !
Vous pouvez le considérer comme une sorte de poésie moderne.
Il peut être utilisé sans qu'on y adhère.
Vous pouvez également considérer que les vocabulaires apparaissent eux aussi dans la conscience pure.
Vous êtes libre de laisser un vocabulaire se manifester de sa manière naturelle.
1. On a commencé à philosopher sérieusement à ce sujet au 17è siècle avec des philosophes tels que René Descartes et John Locke, ainsi qu'avec des scientifiques qui modelaient la connaissance humaine sur la théorie de F optique formulée par Johannes Kepler. Ces penseurs exercèrent une très grande influence dans la culture occidentale; pour eux, l'individu avait un point interne de sensation enfermé dans un corps. Le rôle de l'humanité était de représenter en pensée un monde extérieur avec exactitude et de le communiquer aux autres. Avant cette époque, on pensait qu'expérience et con-naissance étaient beaucoup plus intégrées et holistes, sans imposer de barrières métaphysiques entre intérieur et extérieur. On trouvera des déconstructions extrêmement lucides de cette conception de spectateur de la connaissance humaine dans Colin M. Turbayne, The Myth of Metaphor (Yale UP, 1962) et Richard Rorty, Philosophy and the Mirror of Nature (Princeton UP, 1979).