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vendredi 27 mai 2011

La célébration de notre unité

Article de Francis Lucille
publié dans le n° 80 de la revue 3eme Millénaire


Nous sommes conditionnés à nous considérer comme des entités séparées, et les relations humaines se déroulent dans ce cadre. Se pose ainsi la question de la relation à l'autre. L'autre se trouve face à moi, et le jugement intervient à la vitesse de l'éclair : peur, désir, intérêt, jalousie, etc. Quelle voie vers une relation harmonieuse ?

La voie vers une relation harmonieuse avec les autres passe par une relation harmonieuse avec soi-même. La voie vers l’amour des autres passe par l'amour de soi. Nous le savons d'une manière intuitive. Si nous sommes en présence de quelqu'un qui ne s'aime pas, nous avons instinctivement une réaction de défense. En revanche, si quelqu'un est à l'aise avec lui ou elle-même, nous souhaitons être en présence de cette personne. Déjà, se mettre à l'aise avec soi-même, s'aimer soi-même, nous mènera assez loin vers l'harmonie avec les autres. En fait, nous nous aimons nous-même. Tout le monde aime le Soi, tout le monde aime la conscience. Mais, à un certain moment, nous avons fait fausse route et avons identifié la conscience à un objet : le corps, le mental, l'individu. L'amour a été ainsi détourné au profit d'un objet limité. Or, un objet nous laissera toujours insatisfait. Le retour à l'amour de soi passe par la connaissance du Soi véritable. Une fois ouvert à la possibilité que la conscience n'est pas personnelle, non limitée à un corps ou un mental individuel, mais que le Soi est le Soi de tous les êtres, à ce moment-là notre relation avec l'autre change. Lorsque nous parlons avec l'autre, que nous sommes en contact avec l'autre, au fond des yeux, du Soi de l'autre, se trouve notre Soi. Il n'y a pas de différence ni de distance, et ceci nous donne un accès immédiat vers l'autre. Hier, j'ai amené ma petite fille au magasin de jouets, et je lui ai donné la liberté de choisir. A la sortie du magasin, j'ai senti qu'elle se rapprochait de moi, et elle m'a pris la main. C'était sa façon spontanée de dire merci, d'être avec moi. Lorsque notre Soi est vu comme celui de l'autre, nous avons une relation directe dont les enfants peuvent encore bénéficier.
Même si nous nous adressons au président directeur général de telle ou telle banque, nous avons la possibilité de sauter par-dessus les diplômes, les titres, la différence de richesse, et d'aller directement au cœur de l'enfant que nous sommes, l'un comme l'autre. Nous sautons par-dessus ce que nous ne sommes pas pour toucher ce que nous sommes. On peut, pourquoi pas, utiliser cela comme un exercice pratique dans la vie de tous les jours : au contact d'un autre être, nous ouvrir à la possibilité que la conscience chez cet être et en nous est la même. Nous sommes comme deux fleurs sur un arbre se regardant l'une l'autre, en ayant conscience de leur tronc commun sur le même arbre. Bien sûr, dans le quotidien, nous pouvons découvrir notre incapacité à nous ouvrir à cette vision. On peut alors s'entraîner pas à pas : faire cela avec la chaise, puis avec le chat ou le chien, les gens qui vous aiment, ceux qui sont neutres et ainsi progressivement aller vers le plus difficile.

L'amour de nous-même est une descente de la tête vers le corps. Ordinairement, la sphère du penser, qui est le plus souvent dans la mécanicité répétitive, semble coupée de la sensibilité. Comment aborder cette scission entre la tête et le corps ?

Cette scission entre la tête et le corps est l'absence de connaissance du corps. Il s'agit en fait d'une dichotomie entre la pensée et la sensation. Tant que le corps reste inexploré et inconnu, le sentiment de séparation peut s'y cacher. En d'autres termes, je vis dans l'ignorance, en tant qu'entité séparée, certain que j'ai quelque part dans mon corps la preuve que je suis bien une entité séparée. Mais cette preuve n'a jamais été explorée, je ne l'ai jamais mise au jour.
C'est un peu comme un procureur qui dit avoir dans son coffre la preuve de la culpabilité d'une personne, sans avoir jamais regardé dans le coffre. Un jour, ouvrant le coffre, il en découvre l'absence. Ce que je suggère est d'ouvrir le coffre : laisser l'attention explorer le corps. Lors de nos premières tentatives, nous rencontrons souvent un niveau de résistance, d'aversion, qui nous amène à faire marche arrière. Si nous per¬sévérons, nous finissons par nous habituer à la résistance, comme si celle-ci perdait graduellement sa charge affective, psychologique, et devenait une sensation parmi d'autres. Nous sommes alors libérés de cet objet.
Notre grande tante nous fait cadeau d'un canapé affreux. Pour ne pas la décevoir, le canapé se retrouve au milieu du salon et se voit comme le nez au milieu de la figure. Mais jour après jour, l'œil s'habitue. Au bout de deux ans, on ne le remarque plus. C'est le moment que choisit la tante pour passer dans un monde meilleur, et on peut alors se débarrasser du canapé.
L'ignorance a ses racines dans le corps, comme dans le mental sous forme de croyances et d'habitudes de pensée. Dans le corps, elle prend la forme de localisations auxquelles on s'identifie quand on pense à soi-même: Que suis-je ?
Nous allons trouver des localisations dans le ressenti.
Mais il est ridicule de penser que nous sommes cette tension dans les lèvres, ou cette sensation dans la poitrine. Bien sûr que ce n'est pas moi.
Mais encore faut-il amener la lumière dans le corps pour découvrir que ce n'est pas moi, non pas d'une manière intellectuelle mais au contraire vécue.
Dans les dialogues avec Ramana Maharshi, quelqu'un l'interroge au sujet de l'investigation sur le « qui suis-je ? » : l'enquête doit-elle se faire au niveau de la pensée ou au niveau du ressenti ? Maharshi répond : le ressenti.

La sensation se nettoie donc de toute coloration affective...

Mais il ne s'agit pas d'une purification que l'on fait. Elle se fait.
L'analogie peut nous aider à comprendre la différence entre le domaine de la pensée et celui du ressenti. La différence entre comprendre quelque chose au marxisme et être communiste correspond à la différence entre une croyance et un concept. Il en va de même au niveau du ressenti : c'est la différence entre la sensation corporelle, l'équivalent du concept, et le ressenti qui serait le concept chargé affectivement.
Dans l'écoute corporelle, les ressentis perdent leur charge affective de résistance, d'aversion ou de désir pour ne devenir que des sensations corporelles. Parfois, elles s'estompent complètement quand elles avaient été créées seulement dans le but de générer une entité séparée. Parfois aussi elles se révèlent pour ce qu'elles ont toujours été quand il s'agit de sensations purement fonctionnelles. La respiration en est un bon exemple.

Mais la charge affective se trouve plaquée sur le ressenti à la vitesse de l'éclair, d'une façon inconsciente.

Oui, mais au fur et à mesure que nous explorons le corps et le mental dans cette recherche du qui suis-je, les couches viennent à la surface et se dissipent. Ces mécanismes, à partir du moment où ils sont vus, quand ils affleurent vers la conscience, perdent leur virulence.

Ce que tu dis sur la dissolution de la charge affective, souvent négative, par le ressenti, est essentiel dans le cadre de toute relation. Si on considère le fait de créer un couple, de chercher un partenaire, on voit que cette recherche repose bien souvent sur celle d'une sécurité, la peur de la solitude. La vie de couple repose ainsi bien souvent sur des fondations instables...

Ce que je disais précédemment est le plus important.
C'est la pierre de touche d'une relation harmonieuse.
Comme le dit l'adage indien : "Voir le Soi dans tous les êtres, et tous les êtres dans le Soi."
Voir le Soi dans sa compagne ou son compagnon, et voir sa compagne ou son compagnon dans le Soi. Si on pouvait appliquer cela, ce serait parfait.
La sexualité joue un rôle important dans les relations entre hommes et femmes, et il s'agit là d'une fonction naturelle qui a été contrôlée par la société pour des raisons peut-être valables à une certaine époque, mais les sociétés évoluent. Dans la société moderne, peut-être y a-t-il moins de raisons de contrôler la sexualité, car ce contrôle se paie en termes de souffrance, et de bonheur.
Au-delà de la sexualité, l'homme et la femme sont complémentaires, et il y a un plaisir à célébrer cette complémentarité. La complémentarité des genres masculin et féminin et la complémentarité sexuelle sont la célébration de notre unité profonde, au niveau subtil pour ce qui est des genres, et physique pour la complémentarité sexuelle.
En outre, l'être humain est un animal grégaire. La plupart d'entre nous aiment la vie sociale. Il y a donc quelque chose de normal dans le désir de ne pas être seul. Mais pas dans le sens de la peur, car celle-ci est anormale. Au contraire, ce qui nous pousse à être avec les autres, à échanger, est aussi une manière de célébrer notre nature commune.
Il y a dans cette célébration de notre nature commune un mot : l'amitié. 
Il s'agit au fond du sentiment le plus désintéressé et le plus impersonnel.
C'est l'expression de l'amour la plus proche de l'amour spirituel car il y a absence de peur, de jalousie et d'attente.  
Nous devrions être dans nos amours comme des amis.
Ce pourrait être une forme de règle pratique.  
L'amour spirituel est vraiment voir le Soi dans le compagnon ou la compagne.