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mercredi 4 mai 2011

Etre avec ce qui est

Extrait de « Le singe sur le sentier du sage »
de Thierry Vissac


La rivière est un mouvement transparent, avec une intention et une direction.
Il en est de même pour ce qui nous traverse.
Les émotions mal aimées ont la vie rude parce qu'elles sont perçues comme des intruses dans la perception de l'homme qui veut tout contrôler.
Mais comment avons-nous décidé qu'elles étaient des intruses ?
Leur avons-nous jamais ouvert la porte ? Avons-nous jamais accompagné l'une d'entre elles pour vérifier de quoi elle est faite, quel est son chemin naturel (quand on ne tente pas d'en faire quelque chose) et quel est son but ?
Dans le marasme de la quête actuelle, j'ai pu vérifier qu'une telle possibilité fait écarquiller les yeux de la plupart des vieux adhérents de la non-dualité (quand cela ne les fait pas bouillir de colère rentrée). Certains vont parfois risquer une question hors-cadre, comme si le dogme qui les contraint se dissipait brièvement :
- Vous voulez dire qu'on devrait accepter les émotions et les vivre pleinement ?
Il y a comme une saveur de sacrilège dénoncé dans la question, un frémissement d'outrage.
- Je veux dire qu'il n'y a rien à exclure...
Et, tout à coup, la grande cape noire du mental s'interpose :
- Mais je n'existe pas, je ne suis pas ce corps, je ne suis pas ces émotions.
- Vous êtes par nature celui qui peut accueillir toute chose. Vous êtes Accueil, si vous voulez, plutôt que « émotion ». Mais il n'y a pas de séparation entre celui qui accueille et ce qu'il accueille. Cela ne donne pas de valeur particulière à ce qui est accueilli, qui est transitoire, comme l'est une pensée, une émotion mais il n'y a cependant pas de rejet non plus. Sans rejet, et sans valeur donnée à l'événement, qu'il soit intérieur ou extérieur à soi, la relation est saine, vivante, sans poids. Pourquoi voulez-vous vous couper de l'émotion, elle est la vie. Ce qui fait de l'émotion un problème, c'est le conflit que vous avez avec elle.
- Pourquoi voulez-vous accueillir quelque chose qui n'est pas réel ?
- D'où tenez-vous que ce n'est pas réel ? Quelqu'un vous l'a dit, ou vous l'avez vérifié par vous-même ? Quand vous êtes irrité par ce que je dis dans cet instant, vous trouvez cette irritation irréelle ? En quoi est-elle irréelle ? Alors écoutez, plutôt que de pérorer sur la nature du réel : allez à la rencontre de cette émotion qui vous travaille au corps à cet instant et explorez sa nature et son enseignement. Ensuite, si nécessaire, nous parlerons.
Les plus courageux vont tenter cette expérience. Mais la tendance est à la fuite et la panique s'empare d'eux facilement si leur effort les amène à effleurer ce qu'ils ont évité pendant des années. Il faudra y revenir pour que la rencontre se produise.
Quant à ceux qui se jettent aux pieds des avatars pour vivre un moment d'amour pur, la réaction est différente. Il y a moins de résistances exprimées mais plus d'incrédulité encore concernant leur potentiel à vivre l'amour en soi :
- J'ai déjà essayé de ne plus me fuir. La première chose que je rencontre en moi est la douleur, un point de souffrance. Naturellement, je vais chercher ailleurs.
- Peut-être n'avez-vous jamais vraiment essayé ? Vous n'approcherez pas d'un animal si vous ne le croyez pas inoffensif. Vous ferez semblant mais vous ne le ferez pas.
- Comment m'y prendre alors ?
II faut d'abord que vous abandonniez cet investissement dans les avatars, que cesse cette course vous éloignant du Réel. Qu'en dites-vous ?
- Je sens comme une résistance en moi à cette idée.
- C'est la mesure de votre investissement. Non seulement, vous n'approcherez pas l'animal que vous pensez être, parce qu'il ne vous paraît pas inoffensif, mais vous avez la certitude qu'il y a une peluche quelque part, du même animal, qui pourra vous consoler de votre mal-être.
- Je cherche la consolation et j'entretiens mes illusions, c'est vrai. J'en suis conscient, quoi que je dise. Mais qu'avez-vous d'autre à proposer ?
- Je vous propose de découvrir en vous l'espace de Paix sans miser sur un autre pour l'éveiller. Le fait que vous vous sentiez un peu mieux en présence de cette personne n'est pas un problème aussi longtemps que cela ne devient pas une dépendance. Vous devez trouver en vous votre propre fondation.
- Je ne sais toujours pas où est cette fondation en moi ni si elle existe.
- Pour trouver la fondation, vous devez partir de l'endroit de la maison où vous vous trouvez. Voyez, par exemple, cette émotion qui s'anime en vous au moment où nous parlons. Pouvez-vous « être avec » cette émotion, sans tenter de la maîtriser ou d'en faire quelque chose d'autre ?
- C'est difficile, j'ai déjà tellement pleuré dans ma vie, ça ne m'apporte rien.
- Il ne s'agit pas d'apporter quelque chose, mais d'être avec ce qui est. Si une émotion apparaît, elle est là, vous êtes d'accord ? Vous ne pouvez pas la nier.
- Oui, mais j'aimerais qu'elle n'y soit pas.
- C'est bien la cause de la division en vous et en particulier de cette quête vers l'extérieur pour trouver la paix. Vous rencontrez en vous des réalités qui ne vous plaisent pas et vous les refusez. Vous êtes alors en déséquilibre, vous n'avez pas trouvé la fondation en vous. Vous allez cependant réaliser que la fondation n'est pas l'absence d'émotions ou de toutes choses que vous jugez mal, mais la relation paisible que vous entretenez avec ces émotions.
- Mais ces émotions sont douloureuses, envahissantes, comment voulez-vous que je les accepte ?
- La douleur que vous ressentez au contact de cette émotion transitoire est due à la résistance que vous lui opposez. Si vous laissiez l'émotion libre de circuler, elle ne ferait que passer et son passage serait bien plus doux.
- Si j'accepte l'émotion, elle va passer, peut-être. Mais elle va revenir ?
- Il n'y a pas de problème avec vos émotions, elles ne vous rendent pas inadapté au monde ou inférieur aux autres. Elles sont des mouvements naturels de vie en vous. C'est le combat que vous menez contre ces réalités - certains se sont même fait croire qu'elles n'étaient pas «réelles» pour s'en débarrasser mais Dieu soit loué, vous n'êtes pas tombé dans ce piège - qui provoque la souffrance. Vous voyez, vous n'avez jamais vraiment essayé d'être avec ce qui est. Mais il n'est pas trop tard.